De l’autre côté du miroir

Un cri de vérité, déposé sur le papier, 3ème partie.

Le cheminement vers un diagnostic de TSA et au-delà n’a rien d’un conte de fées. Pourtant, c’est l’univers que j’ai choisi, pour vous raconter la façon dont moi j’ai vécu ce voyage intérieur, des questionnements à l’acceptation, et les secousses émotionnelles que cela a généré en moi.

Plume de Bleuet

Pour lire la première partie du conte : ≪ Un cri de vérité, déposé sur le papier ≫
Et la deuxième partie : ≪ un cri de vérité, déposé sur le papier, partie 2 ≫

Elle respira, lentement, profondément, essayant de se préparer à affronter cette réalité que personne, pas même elle, n’avait voulu voir jusqu’ici. Elle tremblait, elle avait froid, et l’humidité ambiante lui donnait la chair de poule. Au loin, un petit bruit doux et mélodieux, rassurant, résonnait délicatement. Elle ne savait pas depuis combien de temps elle était là, des heures, des jours, peut-être des mois, mais elle sentit qu’enfin, elle avait la force nécessaire en elle pour ouvrir les yeux, et faire face à son reflet.

Ses paupières se soulevèrent petit à petit, tout doucement, tant elle craignait d’être aveuglée par la lumière, mais le miroir avait disparu. Tout était noir. Une peur irrépressible l’envahit : pas un seul petit rai de lumière pour se repérer, c’était comme si ses yeux ne fonctionnaient plus. Elle sentit le sol, dur et froid, sous ses pieds. Elle se leva et manqua de tomber, déséquilibrée par toutes ces aspérités. Elle se retourna et se cogna l’épaule. Où était-elle ?? Elle laissa glisser ses mains sur le sol, à la recherche de sa loupe. La roche était dure, douce, et tranchante à la fois : elle savait que si elle glissait, si elle tombait, elle ne se relèverait pas.

Elle avança prudemment, de quelques pas, se laissant peu à peu envahir par les odeurs, les sons, le froid, la moindre petite perle de lumière… Et ses émotions l’assaillirent à nouveau : la tristesse, le désespoir à l’idée d’être à jamais enfermée dans le noir, la peur, la terreur à l’idée de revoir un jour la lumière et de devoir alors faire face à son reflet. Elle marcha ainsi pendant des jours, à tâtons, ramassant au passage les roches sur lesquelles elle trébuchait, celles qui la déséquilibraient, et griffant son corps contre les parois, jusqu’à ce que la lourdeur, le poids de toute cette accumulation, et les douleurs, deviennent tellement insupportables qu’elle ne pût pas faire un pas de plus. Alors elle s’assit, se demandant si elle aurait la force de se relever un jour, et prit la décision de ne plus fermer les yeux, craignant sinon de ne plus jamais réussir à les ouvrir. Avec l’aide de la psy, elle pansa ses plaies et déposa quelques roches sur le sol, puis elle reprit sa route.

C’est à ce moment-là qu’elle retrouva sa loupe. Après avoir tourné en rond pendant des semaines dans ce tunnel sans lumière, elle était revenue à son point de départ. Elle saisit la loupe et s’observa, encore. La loupe n’était plus noire, elle était grise, et terne : tout ce que l’on regardait avec cette loupe devenait fade et perdait son éclat. Elle se sentit vide et vit qu’elle était devenue aussi noire que la roche autour d’elle. Elle éprouva alors ce terrible sentiment d’avoir disparu, d’être comme morte à l’intérieur, vivante mais inexistante, sans couleur et sans saveur. Ses jambes cessèrent de la porter et elle se recroquevilla sur le sol.

Le bruit qui était si doux, si mélodieux au départ, devint plus fort, il entra en elle et résonna contre son crâne et dans tout son corps. Un rai de lumière lui brûla les rétines. Le froid et l’humidité lui transpercèrent la peau, réveillant les douleurs des multiples plaies qu’elle portait sur elle, et en elle. Elle en trembla. Tout n’était plus qu’agression. Elle voulut crier, se jeter contre la paroi pour que ça s’arrête, disparaître… Ça ne pouvait plus durer, il fallait qu’elle se relève et qu’elle avance, c’était son seul espoir. Elle devait trouver la sortie de cette grotte, le chemin qui la mènerait à ses véritables couleurs.

De colère, oubliant ses douleurs pourtant insupportables, elle se leva et brisa la loupe. Au même instant, le miroir réapparut, juste devant elle. Tétanisée face à son reflet qu’elle ne reconnaissait toujours pas, elle n’eût même pas la force de crier. Elle voulut partir en courant mais ses pieds restèrent cloués au sol, et ses jambes immobiles, l’obligeant à faire face à ce monstre, malgré elle. Elle voulait refermer les yeux mais elle avait tellement peur qu’ils restent clos à jamais, qu’elle les garda grand ouverts. Des larmes inondèrent ses joues, troublant sa vue pendant de longues minutes, puis elle observa attentivement ce monstre qui se tenait devant elle. Il lui ressemblait vaguement, mais il était si différent à la fois ! Il était elle, mais mise à nue, et toute déformée, avec de grandes dents pointues et tranchantes, une peau visqueuse et grasse, et d’immondes pustules et des plaies ouvertes partout sur le corps. Il était elle, sans son costume d’apparat. S’il décidait de sortir du miroir, elle n’en réchapperait pas.

Ils se regardèrent, se dévisagèrent l’un l’autre, les yeux dans les yeux. Au loin dans le miroir, derrière un épais brouillard, se tenait une petite fille, transie, recroquevillée sous un arbre. Le monstre fit un signe à la fille, l’invitant à le rejoindre, pour aller voir la petite fille. ≪ Hors de question que je m’approche de lui, se dit-elle, il est bien trop effrayant. Et si jamais je ne pouvais plus ressortir du miroir ensuite ? ≫ Elle, qui se sentait morte à l’intérieur, avait terriblement peur de mourir, pour de bon cette fois. Mais à quoi bon vivre, si ce n’est que de l’extérieur..? Alors elle regarda à nouveau ce monstre atroce, qui lui rappelait tout ce qu’elle n’avait pas envie de voir en elle, et fit un pas vers le miroir.

Elle tendit la main et le toucha. C’était un miroir d’eau. Le reflet s’agita et, tandis que le brouillard se dissipait, elle aperçut la petite fille qui venait de tourner la tête vers elle, les yeux pleins de larmes. Elle tendit sa main vers elle, et la petite fille fit de même. Elle qui semblait si loin au départ, derrière ce monstre, avait réussi à se rapprocher du miroir, et maintenant elles pouvaient presque se toucher. La fille comprit que cette enfant n’était autre que son propre reflet, tout droit venu du passé. Elle la contempla, lui sourit, et repensa avec tristesse et nostalgie à toutes ces choses qu’elle avait vécues, les plus heureuses comme les plus terribles, dans la peau de cette petite fille. Elle avait beaucoup de mal à faire face à cette part d’elle-même, à se rappeler tout ce qui s’était passé, à réaliser à quel point d’autres avaient pu la haïr et la faire souffrir, sans qu’elle ne dise rien, et sans qu’elle ne comprenne bien pourquoi.

Soudain, elle remarqua qu’une verrue avait poussé sur le nez de l’enfant et commença à avoir peur. Petit à petit, la petite fille se changea en le monstre, et la fille eut un violent mouvement de recul. Elle s’éloigna du miroir et retourna se blottir contre la paroi dure, froide, humide et tranchante de la grotte. Elle se sentait piégée, dans un monde sans issue. Elle comprit que son seul espoir était de faire face à ce reflet, pourtant si dur à recevoir, et s’avança à nouveau vers le miroir. Le monstre était toujours là, de l’autre côté du rideau d’eau, il s’était assis sous l’arbre, et il pleurait. La fille s’assit en face de lui et l’observa un moment. Le dégoût face à ce monstre laissa bientôt place à une infinie tristesse, doublée d’une immense compassion. La fille appela doucement le monstre pour lui parler mais celui-ci osait à peine lever la tête. Cette fille le terrorisait : elle avait posé un regard tellement cruel et plein de haine sur lui !

Ils restèrent un moment assis, face à face, à se décortiquer l’un l’autre, puis, peu à peu, ils commencèrent à voir de belles volutes apparaître dans le rideau d’eau. La fille se leva et le monstre fit de même. Il s’avança vers elle et dans le même temps, elle fit un pas vers lui. Tous deux approchèrent leurs mains du rideau d’eau, jusqu’à finalement pouvoir se toucher. Un éclat de lumière jaillit alors au travers du miroir, qui devint rapidement un torrent indomptable, et le monstre et la fille furent projetés contre les parois de la grotte. Les yeux fermés, ils s’agrippèrent, de toutes leurs forces, puis laissèrent échapper un cri strident, qui résonna longtemps dans la grotte, tandis que le torrent déferlait juste derrière eux, dans un vrombissement insupportable. Plusieurs fois, ils crurent qu’ils allaient se noyer, entraînés par la force de ce courant inexpugnable.

Cela ne dura que quelques minutes, pendant lesquelles la fille vit toute sa vie défiler, avec ses vraies couleurs. Puis le torrent s’apaisa, et il n’en resta qu’une fine source. Le monstre et la fille n’eurent que quelques égratignures mais elles étaient fort douloureuses. À nouveau, la psy pansa leurs plaies. Ils étaient épuisés. La fille prit le monstre contre elle et le serra dans ses bras. Celui-ci, sentant son infinie compassion, se mit à pleurer, ce qui fit aussi pleurer la fille. Puis ils se blottirent l’un contre l’autre, jusqu’à ne plus faire qu’un. Et ils vécurent heureux…

Eh non..! Cher lecteur, il faut que je te dise… Le diagnostic, et même l’après-diagnostic, ce n’est pas une fin en soi. Essoufflée par tout ce parcours, on aimerait bien. Moi aussi, crois-moi ! Mais non. Ça peut être un peu fatigant par moments, beaucoup même. Et on ne sait pas trop comment tout ça va finir, au début… Alors voilà comment moi je vois les choses : c’est comme un labyrinthe, avec plein de nouveaux chemins qui se dressent devant nous, parmi lesquels on ne sait que choisir. Mais avant tout, pour moi, la fin de cette histoire, c’est le début d’autre chose, peut-être, comme certains disent parfois, le début du reste de ma vie… Alors je choisis de prendre un chemin, peut-être même plusieurs, et d’aller voir où ils me mènent. Je sais que je ne suis pas seule, et qu’on ne me laissera plus me perdre.
J’espère qu’il en sera de même pour toi. Je te souhaite bonne route…

Plume de Bleuet
Un cri de vérité, déposé sur le papier, 3ème partie

Ouvrir les yeux, s’éveiller
Voir ses défauts, ses erreurs,
Ses bizarreries. Tout près…

Aimer, toucher, pardonner
Ce monstre qui vit en nous,
Le libérer, le montrer.

Ôter ce costume posthume
Et redécouvrir la vie,
En étant juste soi-même.

Plume de Bleuet

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