Parentalité et troubles psychiques

Parentalité et troubles psychiques


Deux concepts encore antinomiques en 2020

Une formation organisée par l’organisme COPES a provoqué en nous colère et sentiment d’injustice. L’intitulé de cette formation « Dysparentalité – Les enfants et la maladie mentale de leur(s) parent(s) » et son programme laissent en effet penser qu’une personne avec trouble psychique ne pourrait pas accomplir un rôle de parent. Trouble mental et trouble de la parentalité seraient intrinsèquement liés (d’ailleurs, pourquoi associer cette dysparentalité uniquement avec des troubles psychiques et non, par exemple, avec des maladies organiques des parents ?). Dans notre société, l’ouverture vers des catégories d’individus longtemps discriminées semble être désormais possible (femmes, personnes handicapées, personnes homosexuelles,…), pourtant, certaines continuent d’inspirer davantage de craintes.
De surcroît, cette formation est destinée à des travailleurs sociaux, dont on sait que les cours de psychopathologie et développement de l’enfant, tout au long de leur cursus de formation initiale, ne sont pas actualisés au regard des avancées scientifiques (approche très majoritairement psychanalytique).
Nous constatons par ailleurs que d’autres organismes de formation ont pour thématique les conséquences des troubles psychiques des parents sur leur.s enfant.s, toujours présentées en termes de danger ou de risques de danger1.

Précision qui a son importance

Le responsable de la formation et les intervenants sont : psychiatre pour le premier et psychologues pour les autres, et tous psychanalystes. Certain.e.s diront que nous voyons des psychanalystes de partout, mais la réalité est là : cette approche est encore privilégiée en France, dans les formations des domaines de la psychologie, du sanitaire ou du médico-social et ce, malgré l’absence de scientificité et de preuves acceptables d’efficacité.

Combien de parents potentiellement concernés ?

Sous les termes de maladies mentales sont couramment englobés par les acteurs du champ social, sanitaire et médico-social : la dépression, les troubles bipolaires, la schizophrénie, les addictions, les troubles anxieux, les troubles obsessionnels compulsifs, les troubles de la personnalité, les troubles dissociatifs de l’identité, mais aussi les troubles neuro-développementaux comme l’autisme par exemple.

Selon les dernières estimations de l’Institute for Metrics and Evaluation (IHME)2, les troubles mentaux affecteraient plus d’une personne sur six dans l’Union européenne (17,3 %). La France fait partie des pays européens où le taux de prévalence des troubles psychiques est le plus fort (18,5 % de la population).

Cela fait donc beaucoup de parents concernés : est-ce que leurs enfants devraient automatiquement être mis sous protection administrative ou judiciaire si, comme semble l’insinuer le contenu de la formation, un trouble mental implique de facto un trouble parental ?

Des représentations sociales bien assez stigmatisantes

Oui, dans certains cas, le trouble mental d’un parent peut avoir un impact sur son ou ses enfant(s) en terme de dangerosité. Mais combien de parents sans troubles mentaux peuvent aussi mettre leur enfant en danger ? Est-ce vraiment aider ces personnes que de pointer du doigt leurs compétences parentales ? Ont-elles vraiment besoin de stigmatisation supplémentaire, alors qu’elles subissent déjà bien assez la stigmatisation au quotidien du fait de leur trouble, entraînant une grande perte d’estime de soi et de confiance en ses compétences, y compris parentales ?

La maladie mentale inspire inquiétudes et rejets. Nos conceptions actuelles sont largement influencées par notre patrimoine historique et culturel. Or, dans l’histoire occidentale, le « fou » a toujours été considéré comme « dangereux », que ce soit pour des questions morales ou sociales. L’enquête SMPG (Santé Mentale en Population générale)3 a mis au jour certaines croyances fortement ancrées, difficilement flexibles et largement partagées au sein de la population au sujet des personnes avec maladie mentale : la dangerosité, l’inaptitude, l’irresponsabilité, l’anormalité.

autisme et parentalité

Stigmatisation et discrimination affectent les relations interpersonnelles. Les personnes ayant un trouble psychique témoignent régulièrement de leurs difficultés à se faire des amis, des relations, et à les garder. Ces personnes disent devoir couramment cacher le diagnostic porté en raison de leurs troubles et développent des comportements s’inscrivant dans une attitude d’évitement ou d’anticipation de la discrimination. En effet, le processus de stigmatisation n’est pas un simple étiquetage. Il aboutit sur un plan social à la discrimination, et sur un plan personnel à un manque de confiance en soi, notamment en ses compétences parentales.

Les conditions d’accueil des enfants de l’ASE

Les enfants s’adaptent à leurs parents, qui ont tous des qualités et des défauts. Et même si le trouble mental d’un parent peut dans certains cas perturber le développement physique, psychologique de l’enfant, le confier à l’Aide Sociale à l’Enfance ne nous semble pas la meilleure des solutions dans l’intérêt de l’enfant, étant donné les conditions d’accueil actuelles des enfants
placés en foyer4, et étant donné leur devenir : voir à ce sujet les propos de la députée Perrine Goulet :

« 70 % des jeunes qui sortent de l’Aide sociale à l’enfance sortent sans diplôme. » (…)
« 1⁄4 des jeunes de moins de 25 ans qui sont à la rue sont des jeunes qui sont passés
par l’Aide Sociale à l’Enfance »



Perrine Goulet, 16 janvier 2020
Zone Interdite

Soutien à la parentalité : oui, mais comment ?

Dans l’idéal, ces parents auraient besoin d’être soutenus prioritairement et spécifiquement, avant d’envisager une mesure de protection administrative ou judiciaire. C’est d’ailleurs une volonté du gouvernement, avec la Stratégie nationale de soutien à la parentalité 2018-20225. En effet, le document de synthèse relatif à cette stratégie mentionne deux objectifs : tout d’abord, le
soutien par les pairs, qui pourrait être favorisé par la reconnaissance et la valorisation des compétences parentales (structures territoriales dédiées, parrainage de proximité…) ; et la mise à disposition pratique et aisée des informations spécifiques au bénéfice des familles sur leurs droits en accompagnement et ressources.

Mais nous sommes dubitatifs sur les conditions de ce soutien, étant donné que la formation initiale et continue des acteurs de la protection de l’enfance est complètement imprégnée de théories psychanalytiques. Or, avec l’approche psychanalytique, la parentalité est vue au travers du prisme de la négativité et de l’échec.

Parentalité et psychanalyse : dichotomie théorique et pratique

En psychanalyse, la parentalité désigne « l’ensemble des processus de maturation psychique propres à la fonction parentale » (Bouregba, 2004)6. L’approche psychanalytique de la parentalité serait donc non pas basée sur le biologique mais sur le psychique : la vie psychique, de l’enfant va se tisser selon la façon dont la mère apporte les soins maternels à son enfant (la
mère transmet, avec ses soins maternels, sa propre vie psychique). La maternité, pour la psychanalyse, dépasse la biologie de la procréation et de la gestation, en étant présente dans les rêves, les fantasmes, l’illusion, la sublimation.

En psychanalyse d’inspiration freudienne, la parentalité s’entend comme une figure de la relation d’objet, celle qui unit le sujet et son enfant, et ce dans une dimension œdipienne. Le père est présent dans la relation entre la mère et l’enfant. Quand l’enfant va « faire son Œdipe », il va rencontrer l’altérité par un déplacement de la mère au père, et va prendre conscience de la différence des sexes via une angoisse de castration qui ne cessera que lorsqu’il aura intégré sa vie pulsionnelle.

Pour résumer les relations parents/enfant sous l’angle psychanalytique en trois mots :

pulsions, désirs, castration

Le père de la psychanalyse, métapsychologie phallocentrée, semblait déjà dépassé en matière d’éducation. En 1909, dans une lettre à Oscar Pfister, Freud évoque le danger que représente la psychanalyse pour l’éducation, par ces mots : « l’incendie qu’elle est en passe de propager dans l’éducation ». Dans ses écrits, l’éducation de l’enfant est limitée à l’apprentissage de la domination de ses pulsions. Mais, il n’apporte pas d’éclairage en termes de pratiques éducatives, de solutions à la fonction parentale. Anna Freud tentera de venir au secours de son père en proposant en 1930, dans l’ouvrage Initiation à la psychanalyse pour éducateurs, d’établir une théorie psychanalytique pédagogique de l’éducation avec des recettes applicables en fonction de l’âge de l’enfant.

L’ensemble du mouvement psychanalytique n’a ensuite pas été plus créateur en matière d’éducation et d’aide à la parentalité. Beaucoup d’interrogations, d’articles, mais aucune proposition concrète. Ceci peut être expliqué par le fait que la psychanalyse fonctionne selon un modèle dualiste de la relation (psychanalyste et patient) et qu’il n’est pas souhaité transposable à une relation groupale (famille, école). Lacan s’intéressera néanmoins aux entités et fonctions parentales avec notamment le concept de la forclusion du Nom-du-Père qui peut se définir comme « le défaut d’inscription dans l’inconscient de l’épreuve normative de la castration »7. Ainsi, pour que l’enfant renonce à être le phallus de la mère, il faut qu’elle parle et qu’elle désigne l’objet de son désir, qui est autre que l’enfant. La parole de la mère est essentielle pour permettre à l’enfant de savoir « qu’il y a de l’Autre ». Dès lors, la présence paternelle n’est pas forcément nécessaire si sa fonction symbolique est préservée et c’est donc la mère qui est responsable de cette inscription, sans quoi son enfant sera psychotique (à savoir que l’autisme étant, en psychanalyse, une forme de psychose).

Pour Winnicott, le rôle concret du père vis-à-vis de l’enfant consiste à bien « s’occuper de l’environnement de la mère »8, Winnicott pour qui une mère trop bonne ajoute l’angoisse d’intrusion à l’angoisse d’abandon. Cette absence de véritable considération parentale est significative d’une différenciation structurale du lien parental, qui privilégie d’un côté un maternage et de l’autre une paternité « symbolisante » dans une structure familiale apparaissant universelle et immuable.

Chez Mélanie Klein, « Le culte de la mère s’inverse en fantasme de matricide. C’est la perte de la mère qui revient pour l’imaginaire à une mort de la mère. À partir de là s’organise la capacité symbolique du sujet : « Il faut se déprendre de la mère pour penser », se séparer de la mère devient la condition sine qua non pour accéder au symbole »9.

Malheureusement, Françoise Dolto s’est montrée plus perspicace en s’engageant dans une application psychanalytique de l’éducation. Elle participera à dé-légitimer les notions d’autorité et de contrainte au profit d’une promotion de l’individualité de l’enfant. Elle défendra l’idée d’un modèle familial où le lien y serait conçu sur un mode libertaire, aussi bien au plan éducatif que
sexuel. Selon elle, à chaque stade de sa vie, l’enfant est confronté à une castration structurante pour son développement et son autonomisation qui va entraîner un conflit avec les parents. Cette castration symboligène doit être accompagnée d’une sublimation des pulsions refoulées. Le rôle éducatif des parents sera alors de favoriser le travail de symbolisation de l’enfant. Mais,
selon leur histoire passée, leur action pourra fragiliser ou entraver ce travail de symbolisation, cause alors de troubles psychiques de l’enfant. Dolto a été encensée pendant plusieurs décennies par les médias français qui l’ont rendue populaire tant dans les familles que dans les institutions (PMI, ASE…).
Or, quel crédit peut-on accorder à une personne qui affirme, et sans en apporter de preuves : « tous les autistes sont surdoués pour la relation humaine et pourtant ils sont dans un désert de communication. Souvent la personne qui s’occupait d’eux était désertée elle aussi au cours de son premier âge et elle a transmis l’état de désert à ce bébé qui évoquait pour elle son petit âge »10 ? Des difficultés scolaires ? Dolto y verra l’entrée en jeu du complexe de castration : « l’intérêt de l’enfant découle de sa curiosité sexuelle et de son ambition à égaler son père, curiosité et ambition coupables tant que le complexe d’Œdipe n’est pas liquidé. Dans le domaine scolaire surtout, on verra des inhibitions au travail ; le garçon deviendra incapable de fixer son attention… »11. Pour le cas Dolto, en particulier, afin d’appréhender plus précisément les discours doltesques, choquants et criminels, en matière d’inceste et de viol d’enfants, et pour les croyances psychanalytiques et leur influence en général, nous vous renvoyons notamment aux réalisations de Sophie Robert et aux écrits de Jacques Van Rillaer et Franck Ramus12 .

Pour résumer

Rôle prépondérant de la mère, mère trop chaude, trop froide, trop fusionnelle, mère crocodile ou castratrice : pour la psychanalyse, la maternité, pourtant primordiale, est cependant toujours abordée par des concepts négatifs influençant en conséquence négativement la parentalité. Une mère, toutes les mères sont perçues comme menaçantes pour leurs enfants et comme la source de toutes leurs difficultés comportementales. Il va sans dire que continuer à diffuser ce type de connaissances périmées dans le cadre de la formation de travailleurs sociaux et de la petite enfance représente un danger certain pour toutes les familles. Quand, en outre, il s’agit d’accompagner des parents porteurs de troubles psychiques, on peut légitimement s’alarmer sur les a priori stigmatisants véhiculés dans ces formations. Être mère et porteuse de troubles psychiques (dépression, TSA, TDA, etc.) s’avère quasiment impossible quand on suit leur logique. Il est temps que le regard porté sur la maladie mentale et les troubles psychiques évolue et qu’on sorte des clichés dans ce domaine.

© Magali Pignard et Maryline Chenavier, pour le GRAAF, tous droits réservés, publié le 03 février 2020

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