Hors du moule…

Hors du moule…

JE NE SUIS PAS CELLE QU’ON AURAIT VOULU QUE JE SOIS

Petite Loutre, femme autiste engagée dans la défense des droits des personnes exclues de la société. Créatrice d’infographies de sensibilisation sur la vie professionnelle et l’autisme, « 3 minutes d’infos sur la RQTH » et de textes magnifiques comme celui-ci : un témoignage sur le vécu de la différence, de la maltraitance…

Je ne suis pas celle qu’on aurait voulu que je sois. Je ne suis pas celle qui accepte et qui se soumet. On a pourtant essayé de me mater, tout au long de ma vie. 

On m’a tout enlevé – ou rien donné, c’est selon.

Jusqu’au prénom que je porte, qui n’est pas celui qui apparaît sur les documents officiels. Parce que mes parents ont courbé l’échine devant un obscur employé de mairie qui a dit non à celui qu’on m’avait donné. A 3 jours de vie déjà, mon identité importait peu.

Je n’ai pas eu de sécurité. Pas de logement décent où grandir. Pas de nourriture adaptée à mes besoins. Pas de code moral. Pas de codes sociaux non plus. Pas de bienveillance, pas de protection. 

Comment se construit-on dans ces conditions ? Dans le doute et l’inquiétude constants. On apprend à se forger des armes, un solide bouclier, mais pas à être indestructible, ça n’existe pas.

hors du moule, autisme et maltraitance

J’ai toujours pris ma différence de plein fouet, le rejet, les brimades, les violences, le harcèlement, le viol, la violence psychologique, la séquestration, la faim, les difficultés économiques, les hospitalisations, les TS, la culpabilité, tout ce qui passe, comme de mauvais virus, comme un gamin qui entre en maternelle et qui n’a pas construit son immunité.

Pourtant je suis là, je ne sais pas comment ni pourquoi, mais je suis en vie, abîmée, fatiguée mais toujours combative. Jamais décidée à lâcher l’affaire, je cherche toujours ma voie. J’ai encore envie de croire, d’avancer. Je n’ai pas baissé les bras, pas vraiment. 

A quoi ça sert de se battre ? Je n’en sais rien, mais j’aurais vécu debout. Il paraît que ce qui compte c’est le chemin… « Les trottoirs sont plein d’embûches », m’a dit un vieil alcoolique. Je suis bien d’accord avec lui. 

On était bien trop jeunes pour avoir un enfant. On ne voulait pas de toi, tu sais. Ta mère, quand elle a su qu’elle était enceinte, elle s’est bourré la gueule. On a été forcés de se marier à cause de toi. Tu es là, on fait avec. Mais tu dois obéir et te taire. Faire ce qu’on te dit. C’est déjà bien suffisant de devoir t’assumer, ne complique pas la tâche. Maman est fatiguée, laisse-là tranquille. Tu ne dois pas être malade ou pleurer, c’est mal. Tu ne dois pas être faible. Mange correctement. Tu vois cette vieille plante desséchée ? Je la mets juste là, devant toi, comme ça tu sais à quoi tu ressembleras si tu ne finis pas ton assiette. N’oublie pas de faire le ménage. Occupe toi de ton frère. Arrête de faire la gueule. Arrête de te taire. Arrête d’être toi. Souris et trime, ne te crois pas malheureuse. Tu n’as aucun problème. Tu n’as rien d’exceptionnel. Tu es exactement comme tous les enfants de ton âge. Tu te crois différente ? Tu es juste folle, ma pauvre fille.

Et souris, bordel, souris !

A l’école, je n’étais pas non plus de celles qu’on apprécie. 

« Elle est très intelligente, elle travaille bien, mais… »

Cet éternel petit « mais » qui fait que ça coince, le grain de sable qui te pourrit le rouage. 

Elle ne s’entend pas bien avec sa classe. Elle reste seule à la récré. Elle regarde bizarrement. Elle est présomptueuse. Travaille-t-elle vraiment, déjà ? Elle pourrait mieux faire, si elle écoutait. Elle conteste trop l’autorité. Elle ne parle pas, ou elle parle trop. Elle a griffé sa camarade, regardez, ça laissera une cicatrice. Elle ne veut pas s’inclure. Elle croit tout savoir. Elle est menteuse. Elle dort pendant le cours. Elle traîne avec les cancres. Elle pourrait aller loin, mais elle n’y ira pas. Elle n’entre pas dans le moule. Elle n’est pas comme les autres. 

On l’a mise dans le fond de la classe. On l’a mise au premier rang. On l’a séparée des autres. On l’a forcée à s’asseoir avec les autres. On a arrêté de la noter. On a essayé de lui parler. On l’a humiliée en public. On a arrêté de lui parler. On l’a virée du cours. On l’a convoquée. On vous a convoquée, Madame. Rien n’y fait, rien n’y fera.

Elle a fugué ? On dira qu’elle a eu la grippe.

Tous ces médicaments qu’elle a avalés ? Sans doute une erreur. Les pompiers sont venus rapidement, c’est le principal.

Et puis il y a le travail. Les petits chefs frustrés qui te mettent à l’amende. Les grands chefs qui ne supportent pas que tu pointes des incohérences. Qui te malmènent pour te faire plier, au détriment de toute déontologie. Qui ne « comprennent pas » que tu interprètes les six convocations de la veille comme du harcèlement. Les collègues qui t’agressent verbalement quand tu es seule. Ceux  qui trouvent normal de te caresser la hanche en te disant que l’essentiel dans la vie c’est le plaisir. Les dizaines de CDD, les burn out, les inaptitudes au poste. La surcharge de travail, les noyades dans les injonctions contradictoires, et toujours, toujours, la place de celle qui n’est pas à sa place. Ad vitam aeternam. 

Alors oui, je suis celle dont personne ne voulait, celle qui est arrivée trop tôt, qui était trop bizarre pour qu’on l’aime. Celle qui a mis le doigt sur ce qui devait rester caché, qui n’a pas su se taire, mais qui n’a pas su non plus faire son trou.

Je suis celle qui a dit merde à tout ça et qui a tracé sa route contre vents et marées. Je vais continuer.

La différence n’autorise pas la maltraitance.

Toutes les bizarres, les tarées, les foldingues, toutes celles qu’on ne comprend pas, qui sont laissées sur le côté, regardées de travers, jugées inaptes ou trop ceci et pas assez cela, toutes celles qu’on tente d’exploiter, à qui on a démontré que non, ce n’est pas comme cela qu’on arrive quelque part, ne sont pas celles que vous croyez. 

Certaines ont simplement besoin d’être entendues. Qu’on se penche sur leur vie, pour mieux la comprendre. Toutes ne sont pas, comme moi, autistes longtemps ignorées, ou autrement neuroatypiques. 

Mais le moule ne convient pas à tout le monde. Il est trop étriqué, trop rigide. Il ne supporte pas d’être contrarié et ne voit pas le bien, le mieux que cela peut apporter. Le moule est délétère. 

Hors du moule, nous avons autant à offrir que n’importe quel être humain. Ouvrez le moule. Nous ne sommes pas ceux et celles que vous croyez. 

Un autre texte de Petite Loutre à découvrir

Merci Petite Loutre pour ton témoignage

© Photo 2 – non libre de droits – Tous droits réservés – Petite Loutre

© GRoupe d’Action Autisme au Féminin

2 réflexions sur “Hors du moule…”

  1. Maryam Farahmand

    Merci pour votre texte. Merci pour votre présence au monde. Merci pour le partage de votre difference qui fait résonner celles des autres.

    Je vous souhaite de respirer profondément hors du moule…

    Bien à vous,
    Maryam 🌺

  2. On sent un parcours de souffrances, je les connais trop bien…
    On sent aussi de la combativité.
    Mais on ressent surtout que lorsque l’être arrive à un certain seuil de douleur, s’opère alors une bascule, un renversement : vers une sortie du moule ou au contraire une disparition dans le moule.
    Je vous souhaite toute la joie, la force, le courage, le bonheur et tout ce que vous méritez par respect pour votre vécu.

    Mimi.

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